CLIMATECOLOGUES OU CLIMATOSCEPTIQUES

Publié le par Catherine leininger

Je vous invite à lire cet article fort intéressant d'un éminent spécialiste, le professeur Jean-Claude Bernier, article publié en septembre dans la revue mensuelle l'Actualité Chimique 

CARBONE,  VOUS AVEZ DIT CARBONE ?


Je ne sais pas si la taxe carbone décidée en septembre modifiera en profondeur le comportement de nos
concitoyens, mais elle a déjà fait couler des tonnes d'encre et de salive cet été.

Elle a évidemment relancé le débat entre les « climatécologues » et les « climatosceptiques » à propos des gaz à effet de serre. Même chez les Français convaincus du réchauffement climatique, conscients des limites des ressources fossiles et partisans des économies d'énergie, une nouvelle « taxe » n'est jamais bienvenue et suscite des questions sur son impact réel.

En tant que chimistes et scientifiques, nous aimons nous baser sur des faits, en l'occurrence :

quid des émissions de CO2 ?

Les dernières données du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, 2007) et
et autres gaz à effet de serre de l'Organisation météorologique mondiale (OMM, 2008) montrent une augmentation importante des teneurs en CO2 depuis ce que l'on appelle le début de l'ère industrielle (tableau I), avec une mention particulière pour les chlorofluorocarbures CFC (11 et 12) qui amorcent une réelle diminution depuis 2000 (suite au protocole de Montréal en 1987).

Pour les émissions brutes mondiales annuelles, en équivalent CO2, il faut se rappeler que le méthane a un forçage radiatif 25 à 26 fois plus fort que le CO2, et de même le N2O 310 fois plus fort (tableau II).

À ces émissions, il faut ajouter les émissions diffuses, soit naturelles, soit indirectement anthropologiques. On oublie par exemple notre propre respiration à raison de 6 à 10 L/min à 3,5 % qui expire de 0,7 à 1 kg de CO2 par jour, soit 2 à 2,4 Gt par an pour six milliards d'êtres humains. Par ailleurs, des chercheurs australiens et canadiens ont estimé les émissions des bovins – qui libèrent du méthane par fermentation entérique* et d'éjections – de l'ordre de 384 Mt. Plus curieux, les termites, usines à transformer le bois et grands « péteurs » devant l'éternel, participent aussi à ces émissions (tableau III).

Le total est alors proche de 65 Gt équivalent CO2 dont la combustion des ressources fossiles représente moins de la moitié (ce qui fait dire à certains scientifiques que le phénomène climatique est principalement naturel, voire cosmologique et hors contrôle humain). L'équilibre précaire est assuré par les puits de carbone – les plantes par photosynthèse et les océans par dissolution –, avec cependant deux remarques :

- L'augmentation de la population (9 milliards en 2050) nécessitera de nouvelles terres agricoles, de meilleurs rendements, diminuera les espaces forestiers et forcera les émissions.

- Le processus d'absorption du CO2 dans les océans de l'ordre de 10 à 11 Gt bien que très complexe – photosynthèse des plantes de surface, plancton, agitation des eaux, précipitation des carbonates… – dépend cruellement de la température et du pH. La solubilité de CO2 dans l'eau varie de 0,07 g/L par degré entre 10 et 20°. D'un point de vue thermodynamique simpliste, une élévation de température de 0,1° sur les 1,4 Md de km3 d'océans peut entraîner une variation énorme de CO2 : 9 590 Gt, soit 150 fois les émissions annuelles !

La France ne représente que 1,7 % des émissions anthropogéniques mondiales et de l'ordre de 1 % des émissions globales. Notre répartition par activités est un peu singulière par rapport à celles des États-Unis, de la Chine ou de l'Allemagne, l'essentiel de l'électricité étant d!origine nucléaire et donc sans émission de CO2 (tableau IV).

Dans la forêt d'avis et d'anathèmes que l'on a entendus cet été à propos de la taxe carbone, on a « oublié » quelques constatations :

- L'industrie ne représente en France que 20 %, largement dépassée par le transport routier et le chauffage et l'éclairage du résidentiel et tertiaire ; l'agriculture n'est pas loin non plus avec les ¾ des émissions industrielles.

- Contrairement aux autres domaines, l'industrie n'a pas attendu 2009 pour évoluer. Depuis 2002 en France, de nombreuses industries se sont regroupées dans l'Association des Entreprises pour la Réduction des Effets de serre ( AERES – tiens, ça me rappelle quelque chose…). Pour sa part, l'industrie chimique a réduit ses émissions de 45% en quinze ans.

- De plus depuis 2005 en Europe, il existe un système européen d'allocation de quota (« Emission Trading Scheme », ETS  ) avec des registres nationaux qui encadre les permis d'émissions, donne aux entreprises les possibilités d'échanges de quota et des pénalités en cas de dépassement avec des objectifs de réduction supplémentaire de 20 % d'ici 2020. On notera que la valeur d'échange des quota en septembre était de 16 € la tonne de CO2 (tiens, ça me rappelle aussi quelque chose...).

- Pour des raisons économiques évidentes, la « Contribution Climat Énergie » devrait être généralisée et pas à restreinte à la France. Il importerait aussi qu'une étude d'impact intégrant la problématique fiscale, environnementale et industrielles soit menée. Une taxe carbone qui ne serait cantonnée qu'au secteur industriel serait un vrai non sens, car les autres secteurs – transport, résidentiel, agriculture – qui concernent de plus près l'individu représentent trois fois plus d'émissions. On gommerait aussi l'aspect psychologique de sensibilisation de tous les particuliers aux économies d'énergie qui peut changer nos comportements. Il est vrai que son niveau actuel, bien faible, risque de paraître insignifiant en regard d'une prochaine hausse du baril de pétrole, avec le même sort qu'a subi la taxe écologique en Allemagne de 2006 à 2008.

Si vous êtes un « écocitoyen », et si vous parlez le « politiquement correct », je vous engage à calculer votre vraie contribution réelle au « Climat Énergie ». Par exemple : 15 000 km/an en automobile moyenne (8 L/100 km), soit 2.73 t CO2 ; le chauffage au fuel, 2 000 L/an, soit 5,2 t CO2 ; mais aussi l'alimentation avec 20 kg de boeuf et 10 kg de poulet par an, soit 200 kg CO2 (l'agriculture et l'élevage sont aussi des sources fortes)… Ne parlons pas des lychees de la Réunion, des haricots verts du Kenya et des échalotes de Nouvelle-Zélande qui feraient monter la note ! Enfin, je vous souhaite de bien respirer chaque jour, soit 400 kg/an CO2. Tout cela nous amène donc à un total d!environ 140 € (au prix de 16 €/t ), que je vous engage à verser directement au « planètethon » que l'on nous organisera certainement bientôt…

l’actualité chimique - octobre 2009 - n° 334 5
Jean-Claude Bernier,
le 14 septembre 2009

*du méthane est produit quand les sucres sont
dégradés dans le tractus digestif de l'animal.

quelques traductions :

CH4 = méthane
N2O = protoxyde d'azote
CFC = chlorofluorocarbure
HCFC = hydrochlorofluorocarbures

Émissions en CO2
et équivalents CO2 par an
:

Combustibles fossiles = 29 Gt
Déforestation = 8 Gt
Méthane = 8,4 Gt
N2O = 3,7 Gt
Halocarbures = 0,5 Gt
Tableau II.

Émissions diffuses
(en équivalent CO2)
:

Respiration humaine = 2-2,4 Gt
Bovins = 9 Gt
Termites = 4 Gt
Volcans et fermentations =  5 à 10 Gt
Tableau III.

Domaine d"activité
en France
en % du CO2 émis
:

Transports routiers = 26
Résidentiel, tertiaire = 24
Industrie manufacturière = 20
Agriculture = 14
Transformation énergie = 13
Autres = 3
Tableau IV.

Biographie du professeur Bernier :

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Publié dans Développement durable

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